- Hier, 17:25
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Au début du mois de mai, alors que les journées, encore fraîches du matin, s’allongeaient déjà sous un soleil qui semblait promettre des chaleurs plus enveloppantes, Victoire, avec ce mélange d’assurance tranquille et d’ingénuité calculée qui la caractérisait, prit l’initiative de téléphoner à Lison pour lui proposer de nous accompagner dans ce voyage en Espagne qui se profilait comme une parenthèse nouvelle, et qui, par avance, s’auréolait d’un éclat de liberté et d’inconnu ; « non, si vous y allez en avion, oui si vous descendez en voiture… », répondit-elle dans un enthousiasme dont la légèreté cachait mal, pour qui savait la lire, un désir impatient de se mêler à notre équipée. Ainsi fut conclue l’affaire. Mais quelque temps après, alors que je passais la nuit auprès d’elle, elle m’interrogea, avec cette curiosité à la fois tendre et jalouse qui fait naître les ombres dans l’intimité la plus éclairée, sur le nombre que nous formerions : ne serions-nous que trois, ou bien d’autres amis viendraient-ils troubler la triangulaire promesse de ces jours à venir ? Je lui répondis que Victoire ne voulait personne d’autre qu’elle et moi, et je vis alors, dans un geste discret mais si parlant, Lison se mordre les lèvres, comme si elle cherchait, dans le secret de cette morsure, à comprendre la véritable motivation de Victoire lorsqu’elle avait exprimé le désir de l’inviter, motivation qui, à mes yeux, ne pouvait être autre que de l’arracher à l’emprise pesante, quoique invisible, de P… ; et c’est alors qu’elle laissa échapper cette protestation où l’inquiétude se mêlait au charme d’une fausse naïveté : « mais je ne veux pas être la troisième roue de la charrette, dormir seule dans une chambre… », disait-elle, comme pour me forcer à l’assurance qui seule pouvait la rassurer. Alors je lui répondis avec la douceur d’une certitude un peu malicieuse : « Victoire te veut autant que moi, nous avons acheté un lit King Size, il y a largement place pour trois, tu ne dormiras pas toute seule, je peux te l’assurer, peut-être même que tu ne dormiras pas beaucoup ! » ; et elle me regarda alors avec ses yeux rieurs où la complicité s’allumait comme une flamme, avant de pouffer dans un éclat léger, se moquant de moi autant qu’elle se réjouissait de nous : « on aura plus chaud à trois qu’à deux, avec toi au milieu, petit chanceux ! ». Peu de temps après, pour donner une forme concrète à ce rêve de route et de partage, elle nous invita chez son écailler favori afin que nous détaillions le voyage, et déjà j’exprimai le désir d’une escapade par l’intérieur de la péninsule ibérique, à travers ces terres secrètes, âpres et profondes, plutôt que de suivre la ligne trop sage de la côte. Lison accueillit l’idée avec un enthousiasme soudain, et proposa, pour la première étape, Hossegor, dans les Landes, au bord de cet océan qui avait rythmé ses étés de jeunesse voués au surf. Alors je lui suggérai de réserver à l’hôtel « Les Hortensias du Lac », où j’avais séjourné quelques jours, à l’insu de Victoire, lorsque, quelques années auparavant, amoureux affamé et brûlé de désir, j’étais allé retrouver Lison à Seignosse ; et nous y avions, dans cette clandestinité fiévreuse, passé quelques nuits mémorables au tout début de notre relation. Je proposai, d’un ton qui se voulait pratique mais où s’insinuait l’écho de ces souvenirs ardents, de réserver une suite avec vue sur le lac, dotée d’un grand lit et d’un petit. Lison, sans rien dire, ne réagit pas sur le moment, mais battit des mains pour saluer le choix de cet hôtel, signe clair qu’elle se souvenait, elle aussi, de ce que nous y avions vécu. Pour la suite du périple, nous nous disions que nous verrions au jour le jour, en traversant cette Espagne profonde, presque déserte à cette époque de l’année, comme si le pays, déserté de ses habitants, ne se destinait plus qu’à nous seuls, et que ses routes endormies attendaient silencieusement la résonance de nos pas et l’éclat furtif de nos regards.
En prévision de cette séparation qui préoccupait Victoire, elle décida de se rendre quelques jours à Londres pour une visite d’adieu à la famille, ce dont cette astucieuse et coquine Lison profita pour m’inviter à m’installer chez elle. Nous ne quittâmes guère le lit qui résista tant bien que mal aux assauts mémorables que je fis endurer à Lison dont l’appétit sexuel ne faiblissait pas. Un soir tard, alors que nous étions très engagés dans une folle chevauchée, elle se releva soudain et, dévalant l’escalier, elle repoussa sans ménagement l’importun qui venait frapper à sa porte avec l’espoir de passer la nuit avec elle. « Qui était-ce ?» demandai-je, mais je n’eus pas de réponse. Je décelai sur son visage un signe de remord, peut-être aussi de la nostalgie.. Se fatiguait-elle de moi ?
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