- 28 avr. 2021, 18:27
#2519659
Un ami très cher, qui se reconnaîtra, me met, à l'occasion, au défi d'écrire des fables coquines. Mes productions lui ont toujours plu. Les voici regroupées.
I) Le poète, le précoce, les connes…et la putain
Deux amis quinquagénaires,
Devisaient de leurs misères.
Le premier, à ses heures perdues,
Taquinait de façon ingénue
L’art des rimes poétiques.
Le second, cas plus critique,
Quoique qu’étant bâti en force,
Parfois, hélas, s’avérait précoce.
« Au diable mes vers de mirliton !
Je n’y gagne rien de bon.
À la maison c’est toujours
La galère, nuit et jour. »
Maugréa le poète amateur.
« Je comprends tout à fait ta douleur »
Acquiesça l’ami rapide
De moins en moins impavide.
Car, chez eux, nos deux compères
Souffraient de tous les maux de la terre.
« Par Jupin, ma compagne m’épuise.
Son désir qui s’amenuise
Et ses principes coincés
Mes envies ont bien rincées. »
Rebondit le taquineur de rimes.
« Pour ma part, je suis près de l’abîme.
Elle se moque surtout
De la vitesse des coups.
Avec ça, comment durer
Plus longtemps et savoir endurer ?
À toi comme à moi, ami poète,
Nos femmes nous font mal à la tête. »
Se lamenta le précoce.
Leur colère se faisait plus grosse.
« Oui, je ne souhaite à personne
D’être marié à des connes.
Avec les années, elles s’aigrissent,
Et jamais elles ne réagissent. »
Conclut, déçu, le poète.
Ils s’en furent à la fête
Pour amuser leurs épées
Dressées, piaffant pour des épopées.
Ils firent chanter la mélodie
Des envies à Élodie
Qui sut les faire briller
Moyennant quelques billets.
Moralité, les femmes trop connes
Se font griller par une luronne.
II) Escalades,
Sur le parvis d’une église,
Deux dévots à l’allure bien mise
Se querellaient vivement
Sur un sujet éminemment
Théologique, et si ardu
Que de fort peu il s’en fallut
Pour qu’ils n’échangeassent
Des coups et se frappassent.
La querelle, il est vrai, était de taille.
Entre les monts Serbal et Sinaï,
Lequel Moïse avait-il gravi
Pour recevoir les textes promis ?
Ces dévots, en réalité,
Avaient été transmutés
En torrides coquins
Par le souffle du Malin.
Au lieu des monts bibliques
Leurs montées furent olympiques.
Ils plantèrent leurs piolets,
Tout raidis et violacés,
Sur le Mont de Vénus
Et sa forêt de crocus.
Ils firent des dévotions
Dans ce lieu chargé d’émotions.
Pour être sûrs de leur coup
Ces faux dévots, mais vrais loups
Escaladèrent, ça c’est du sport
Les Grands Tétons par la face nord.
Mais la colère de Dieu
Rattrapa ces audacieux.
Pour échapper au courroux du Très Haut
Ils coururent vers la grotte des Échos.
Malgré leurs fortes engueulades
Et de brusques bousculades,
Ils pénétrèrent ensemble
Dans la grotte et son temple.
III) Ode à nos hommes,
Merci à vous, nos gentils maris
Pour avoir éveiller nos envies,
Pour avoir fait sauter les barrières,
Pour exaucer nos vœux, nos prières.
Merci pour tout votre immense amour
Qui nous enveloppe tous les jours,
Et nous délivre des sauf-conduits
Vers les rêves insensés de vos nuits.
Vous nous mettez sur un piédestal,
Vous sertissez nos vies de cristal.
Plus que tout, vous prenez votre pied
Quand un autre homme nous fait crier
De plaisir sous vos yeux amoureux ;
Rien ne peut vous rendre plus heureux.
Ce que nous crûmes un temps "perversion",
Accomplit notre libération,
Notre ascension multi orgasmique
Vers les sommets divins et tantriques.
Soyez sans crainte, chers époux,
Car nos cœurs ne battent que pour vous,
Et nos âmes si fortes de femmes
Ne donnent qu'à vos êtres leurs flammes.
IV) Le précoce et le faux devin,
Arpentant la forêt, un homme cheminait
D’un pas pesant, tant de sa vie il était las.
Vers de noires pensées sans cesse il retournait,
Et dans ses plaies toujours remuait son coutelas.
Car ce quidam souffrait dans les arts de l’amour
D’une rapidité telle, lors du déduit,
Que sa tendre épouse doutait de ses atours,
Tant le temps de leurs ébats s’en trouvait réduit.
Jérémiader sans cesse courrouça les Dieux
Qui mandèrent Tyché vers les pas du pleureur
Sempiternel pour que ce fatiguant chassieux
Reçût bonne leçon en payant sa noirceur.
C’est ainsi qu’un devin, plus faux que maints jetons
Fut dérouté vers la sente du triste sire.
L’augure contrefait n’était point mironton
Et bientôt aurait le précoce en son empire.
Informé par les Dieux, le roué haruspice
Sut que la mie du hâtif, en un tournemain,
Pour le prix modique de formules factices
Gémirait de passion sous le feu de ses mains.
Notre imposteur s’avéra Tartuffe brillant.
Il convainquit le précoce d’être mené
Chez lui pour qu’il le guérît d’être défaillant,
Et qu’il devînt, enfin, un mari déchaîné.
Mais au lieu de la mâle vigueur attendue,
Sieur hâtif fut ficelé comme un saucisson.
L’augure se hâta de le faire cocu
Et l’épouse comblée gémit à l’unisson.
V) Nous les maris candaulistes,
Je nous qualifierais comme des hommes à part,
Pleins de contradictions, remués de part en part
D’ennuyeuses bonaces en tempêtes extatiques.
C’est la rançon pour une vie, tout, sauf classique.
Notre mode d’aimer vient de l’ère assourdie
Où le roi Candaule régnait sur la Lydie.
C’est ce monarque atypique qui initia,
Éperdu de désir pour sa femme Nyssia,
La pratique par laquelle un mari partage,
Avec d’autres, sa chérie, sans ire ni rage.
Déjà vous vous agitez et criez au fou,
Croyant notre tête victime du grisou.
Bonnes gens, soyez rassurés, il n’en est rien.
Si nous agissons ainsi, c’est pour notre bien.
Exprès j’use du pluriel, car c’est notre union
Dont cet exercice renforce la fusion.
Un adjectif nous est inconnu : narcissique,
Tant il est loin de notre vision érotique.
« Vous n’êtes donc point jaloux » dites-vous, moqueurs,
« Que votre aimée goûte à d’autres mâles vigueurs ? »
Nous transmutons la douleur que crée cette envie
Et chaque fois davantage aimons notre mie.
Nos cœurs battent plus fort et brillent dans la nuit
De ces amours plurielles. À l’aube, reconduit
Par de singuliers « je t’aime toujours plus forts »,
Notre couple vit mieux, vous qui le pensiez mort.
Pareils à Candaule amoureux fou de sa reine,
C’est l’œil fier que nous la contemplons perdre haleine
Dans les bras vigoureux d’un amant apaisant.
Oui, il arrive que le flux et le jusant
De nos sentiments fasse battre la chamade
En voyant nos femmes en pleine cavalcade
Sur ces pieux vigoureux et gorgés de désir
Essoufflées, à force de crier leur plaisir.
Faut-il une âme bien née pour le supporter ?
Plutôt un couple uni pour se réconforter.
Je sais bien que je ne vous ai pas convaincus.
Pour vous, nous ne sommes que de simples cocus,
Aux cornes si larges, qu’avec pareils trophées
Des maris trop bons, nous sommes les coryphées.
Nous adorons ces bois, gagnés à la sueur
D’un dialogue amoureux qui a vaincu la peur.
Et c’est toujours avec leurs maris que nos femmes,
De l’amour le plus puissant, rallument la flamme.
Le libertinage , c'est aimer au pluriel tout en restant singulier